inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

Infatigables marins, les Bretons ont parcouru les mers, ce n’est plus un secret pour personne, mais le monde de la recherche a encore bien des connaissances à nous révéler ! Entre 2017 et 2019, la Région a mis en lumière la thématique de l’archéologie sous-marine et accompagné différentes actions de connaissance, de valorisation et d’expérimentation (appel à projets NEPTUNE). L’étude d’un exceptionnel fonds d’archives historiques conservées au Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines (DRASSM), riche de 18 748 documents en langues française, espagnole et portugaise en fait partie et a commencé à livrer de belles pistes de travail !                                                                                                                                                                                                                Il fait actuellement l’objet d’une thèse qui traitera des naufrages et de la récupération (cruciale pour les armateurs) des cargaisons englouties dans la Mer des Caraïbes entre le XVIème et le XVIIIème siècle et de l’implication de Bretons dans cette zone. Les données, étudiées à la fois sous l’angle historique et archéologique, contribueront à enrichir la connaissance des pratiques usuelles liées au commerce et au trafic maritimes, tandis que la localisation de sites archéologiques uniques viendra encourager leur protection future.

Représentation vers 1760 d’une flûte, un bateau de charge du même type que L’Eléphant, naufragé devant La Havane et utilisé pour pourvoir à l’approvisionnement des colonies (Gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France).

 

COMPRENDRE L’HISTOIRE DES BRETONS

Témoigner d’une aventure au long cours :

Les Bretons sont reconnus pour être de grands voyageurs, des protagonistes de l’Histoire. Ainsi, comme en témoigne les récits des grands explorateurs, ils se sont rendus et se sont installés dans de nombreuses régions du monde, soit par volonté, soit par nécessité.

 

De ces Bretons partis à l’étranger, il reste parfois des traces. Ces empreintes peuvent être minimes, ceux qui partent n’emportent pas grand-chose avec eux, ou simplement des objets du quotidien (une tasse, une pipe, un couteau, un jeu de dés…). D’autres laissent des témoignages plus conséquents : leur nom est donné à un territoire, une route, une plage, une baie, des îles ; certains ont dessiné des jardins pour un seigneur brésilien, d’autres ont marqué la langue créole des Seychelles d’influences bretonnes ; d’autres encore ont construit des monuments en souvenir de pêcheurs exilés loin de chez eux ou de soldats bretons partis au combat…

Le temps des grandes explorations :

A l’époque de la découverte de l’Amérique, les Bretons fréquentaient déjà les côtes de Terre Neuve pour y pêcher la morue. De même, durant la période moderne, plusieurs expéditions lancées par le Royaume de France sont parties des ports bretons de Nantes ou Saint-Malo, qui jouissaient d’une position favorable sur l’Océan Atlantique. Ainsi, nombreux ont été les hommes de toute la Bretagne à faire partie d’un équipage d’exploration, à exporter des productions bretonnes (comme celle des toiles de Locronan jusqu’en Galice) et à prendre part à toute autre mission effectuée pour le compte du Royaume de France.

En Mer des Caraïbes :

Ce point du globe n’a pas été fréquenté que par des pirates comme le cinéma se plaît à le montrer. Les analyses préliminaires de cette riche matière documentaire, collectée en France aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM, Aix-en-Provence) et en Espagne (Séville) dans les Archives générales des Indes témoignent bien d’une présence bretonne, qu’il s’agisse de commerçants, d’armateurs, de capitaines ou de corsaires partis d’un port de Bretagne, ou de navires eux-mêmes construits dans les chantiers navals bretons.

Ces hommes partis pour les îles des Caraïbes devaient maîtriser la navigation et ne pas craindre d’affronter les dangers de la mer. Au début, la fréquentation des Petites Antilles faisait partie des escales pour se ravitailler, ensuite elles devinrent des lieux d’échanges de produits et enfin, un territoire convoité pour s’implanter et l’exploiter.

Les tentatives d’établissement de colonies françaises s’achèvent durant la première moitié du XVIIème siècle (en 1635) en Martinique, à la Guadeloupe, aux îles Grenadines, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy, en Guyane et à Saint-Domingue. D’autres îles comme La Dominique, Saint-Vincent, Sainte-Lucie et Tobago ont vu peu à peu arriver des français désireux d’échapper au régime fiscal instauré par les colonies royales sur les îles colonisées.

La mer aura été le « théâtre » d’une multitude d’événements qui y ont coexisté : la colonisation, la guerre navale, la guerre de course et les naufrages.

 

UNE INVESTIGATION MINUTIEUSE

Quand les archives se mettent à parler :

De nombreux documents existent comme, les registres, inventaires de la cargaison, les journaux de bord, les lettres des gouverneurs (des lettres de plaintes aussi…), les correspondances entre les capitaines et le Roi qui donne ses ordres, etc…. Ces manuscrits racontent les péripéties du voyage, livrent le nom des navires disparus, de leurs capitaines et passagers, informent sur les cargaisons transportées et surtout les causes des naufrages.

En les parcourant, des mentions rares transparaissent également : fraude dans les cargaisons d’or, trafic de marchandises comme le bois, l’alcool ou encore la construction soupçonnée défectueuse de certains navires. Les conditions de récupération de la cargaison, des esclaves, de l’artillerie et des gréements des navires sont parfois précisés. Autant de pistes précieuses pour les archéologues dans leur quête d’indices ! Chaque navire coulé représente en soi une microsociété, une histoire singulière.

Plan de la pêche des canons dans l’île d’Aves dite ile des oisaux en l’Amérique méridionale près de la Guadeloupe, 1679, Bibliothèque nationale de France/Département Cartes et plans (GE SH 18 PF 154 DIV 9P 3/1 D).

 

Mais qui étaient ces Bretons ?

De puissantes familles de négociants bretons vendaient déjà en 1660 des tissus, des dentelles et des chapeaux aux galions espagnols. Certains partaient faire du commerce sur des navires affrétés, avec ou sans permis de navigation. Des capitaines prenaient part dans le trafic d’esclaves et du sucre, certains préféreraient servir l’Etat comme corsaires, tandis que d’autres choisissaient d’être pirates, avec pour but d’attaquer les villes et les galions espagnols, pour leur fortune ou leur malheur.

Ainsi les archives redonnent peu à peu vie aux hommes et aux navires, et chaque nom oublié livre son petit bout d’histoire dont voici quelques exemples :

  • Le Saint-Antoine armé à Saint-Malo et commandé par le capitaine Vitry convoya des chevaux du Cap vert en 1718 pour le gouverneur Claude d’Orvilliers à Cayenne.
  • La Choüe de Villedé, négociant malouin proposait en 1765 l’acheminement des produits de première nécessité (denrées, quincaillerie, etc…) vers la colonie de Cayenne.
  • La famille d’Yves Le Gac et Anne Hubac établis à Brest et Nantes, s’illustra tout particulièrement dans le commerce de fournitures diverses pour la marine. Les frégates Saint-Yves et La Vierge-Marie que commanda leur fils Gabriel furent envoyées en 1704 et 1708 aux îles françaises d’Amérique, comme déclaré par l’armateur à l’Amirauté.
  • Jean Baptiste Goisnard, natif de Saint-Malo et à la barre du navire Le Roi de Saint-Louis, fut inhumé à la Martinique en 1767.
  • La Sirène, un brigantin de 80 tonneaux appartenant au capitaine Le Pelley fait son départ du port de Saint-Malo pour la Martinique en 1773.
  • Le Saint-Victor commandé par le capitaine Pellerin quitta le port de Saint-Malo en 1788 avec à son bord trois sœurs grises (de la confrérie Les Filles de la Charité) pour participer à l’éducation des jeunes filles de Cayenne.

 

Le saviez-vous ?

Des Bretons entraient aussi au service de la marine en qualité de personnel des colonies. Ce fut le cas de Guy Le Gentil de La Barbinais, gentilhomme malouin établi à Saint-Domingue où il devint, en 1726, conseiller au Conseil supérieur du Cap, puis commissaire ordonnateur dans cette même ville. Son rôle était d’organiser les dépenses de la marine sur le Cap-François.

 

VOYAGES ET NAUFRAGES

C’était toute une expédition !

Ces voyages transatlantiques nécessitaient une préparation complexe : recrutement de l’équipage, visite du navire pour évaluer son état, armement du navire, embarquement des marchandises, sans oublier la nourriture de l’équipage. Mais les Caraïbes se situent loin de l’Europe… La traversée durait à cette époque environ deux mois et demi. Les bateaux arrivaient d’abord aux îles Canaries, à Madère ou bien au Cap Vert pour y chercher des vents porteurs, les alizés, en direction Sud-Ouest jusqu´aux premières îles des Caraïbes. Au retour, ils remontaient au Nord de la Floride et passaient par les Açores, les vents dominants de secteur Ouest leur permettant de traverser l’Atlantique en 6 à 10 semaines pour rejoindre l’Europe.

Les hommes n’échappaient pas aux risques très importants de tempête ou de foudre, de rencontre malheureuse avec des baleines ou encore d’échouage sur des récifs coralliens, et demeuraient aussi à la merci des pirates ou encore d’erreurs de navigation de la part des équipages eux-mêmes. Mais ces capitaines ont incontestablement permis grâce à l’expérience gagnée aux cours de leurs voyages, de grandes avancées dans le domaine de la cartographie, des instruments de navigation ; ils ont ainsi ouvert des routes maritimes et développé une aire d’échanges culturels déterminants entre l’Europe et les Amériques.

Quand des navires nous racontent leur histoire :

  • La traite négrière :

L’Hirondelle : commandé par le capitaine Duponsel (Jean-Baptiste Delahaye Du Ponsel, natif breton), le bateau quitte le port de Saint-Malo en mars 1730 et arrive à Juda le 14 mai pour faire la traite avant de se rendre en Guyane, fort probablement la même année. Ensuite les nouvelles de La correspondance de la Guyane du 31 mars 1734 relatent que ce navire négrier a été « condamné » dans le port en 1733, parce trop abîmé ou devenu trop dangereux pour reprendre la mer. Du Ponsel dépose aussitôt une requête pour acheter un nouveau bateau. Une autre lettre datée du 9 septembre 1734 l’autorise à acheter le bateau Le Jacques de Boston pour ramener en France ses marchandises.

D’autres navires ont continué à faire la traite en raison de la demande de main d’œuvre pour les plantations de café, cacao, sucre, tabac et d’autres produits cultivés à Cayenne : Le Saint-Esprit de Saint-Malo commandé par le capitaine Du Clos Boulain arriva en Guyane en 1747 chargé d’hommes et de marchandises, puis à son tour en 1756 La Perle de Saint-Malo commandé par Dufresne de Pontieu.

Le Chevalier Mouette lui, aurait rejoint la Guyane pour aider aux travaux de l’établissement d’une nouvelle colonie sur la rivière de Marony vers 1762.

Le Duc de la Force : armé par le chevalier Landais et Consorts, un navire de 250 tonneaux et 75 hommes commandé par le capitaine Duplessis Desages. Il quitte le port de Saint-Malo le 22 avril 1721. Après un voyage à Gorée, Accra et Juda où il se livra à son activité de traite, il fait naufrage près du Cap le 18 décembre 1721. 8 marins trouvèrent la mort en mer et 208 esclaves de son bord furent sauvés du naufrage puis vendus le 23 décembre en l’état, malades et blessés… En 1725 apparaît dans la correspondance de Blondel de Jouvancourt, l’intendant des îles du Vent, le jugement établi suite aux contestations survenues entre M. de Joyeux et de M. La Touche concernant le règlement de dettes à la suite de l’armement du navire.

Le Comte de Buy : navire négrier de 250 tonneaux, armé à Saint-Malo par Dudemaine Girard et commandé par Nicolas Trehouard, il quitte le port de Saint-Malo le 15 février 1726. Après une escale à Juda le 15 avril 1726, il se perd avec une cargaison de 278 esclaves sur la côte de Saint-Domingue le 1er octobre 1726.

 

  • La guerre :

L’Ecueil, au nom tristement prédestiné : la nuit du 25 au 26 février 1673, le vaisseau de guerre de 36 canons et 600 tonneaux fait naufrage au nord de Porto Rico. Il avait été construit à Brest par Laurent Hubac en 1660 et mis à flot en 1661. L’équipage comptait 230 hommes. Les survivants arrivèrent au lieu appelé Saint Hilaire de la Recive à 12 lieues de Porto Rico pour demander de l’aide.

Lettre de M. de Baas du 16 février 1673 qui confirme le naufrage de l’Ecueil

 

Le Terrible, Le Tonnant (renommé L’Arrogant), L’Hercules, Le Bourbon, tous les quatre naufragèrent à l’île d’Aves au Venezuela en 1678

 

Le Dragon : vaisseau de 64 canons construit à Brest entre 1745 et 1747. Il naufragea le 17 mars 1762 sur le Cap Français (Haïti) et fut retiré du service.

 

Le Palmier : vaisseau de 74 canons construit à Brest en 1750 et mis à flot en 1752. Il sombra le 24 octobre 1782 au large de Bermudes à cause d’une tempête.

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Le commerce :

Le Saint-Yves, 1704, Martinique

Ce navire marchand, commandé par Gabriel Le Gac, avait quitté le Port de Brest en 1704 à destination de La Martinique. Cette frégate de 250 tonneaux armée de 24 canons appartenait à son père, Yves Le Gac. Sa cale avait été aménagée pour recevoir les marchandises qui seraient vendues une fois arrivées à destination: des salaisons, du vin, de l’eau de vie et des toiles. Parmi l’équipage qui comptait 77 hommes, on trouvait des officiers, des canonniers, un charpentier et un chirurgien, ainsi que des matelots, en grande majorité originaires de Brest.

Le 4 septembre, la frégate mouillait à Cul de Sac de La Trinité en Martinique et se préparait pour appareiller le lendemain. Vers 3 heures de l’après-midi, un coup de tonnerre jeta les mâts à bas et coula le navire à fonds. La cargaison estimée à 250 000 livres qui était à bord et devait être ramenée était hélas périssable, il s’agissait de sucre, d’indigo, de rocou, et d’autres produis coloniaux. Le navire transportait également quelques passagers mais seuls les membres de son équipage ont survécu.

Lettre de Jean Baptiste de Gennes, ex-gouverneur de Saint-Christophe, 1704 sur la perte du Saint-Yves, (Anom_C8_ A15_F° 367)

L’Eléphant (vaisseau de la Compagnie des Indes), près de La Havane, 1725.

C’était un vaisseau de la Compagnie des Indes, mis à flot en 1716. Il faisait entre 380 et 450 tonneaux et avait été armé à Lorient pour aller en Louisiane sous le commandement du capitaine Collet de la Massuère en 1725. Ce vaisseau coula en 1725 près de la Havane.

  • La course :

Le capitaine Jaunais-Bosquet, à la tête du vaisseau Le Triomphant parti de Saint-Malo, prit la direction de Saint-Domingue en 1691 en compagnie du vaisseau Saint-Tomas, tous deux armés pour la course. Ils étaient prêts à entrer au port de Cap François quand ils rencontrèrent sept vaisseaux espagnols qui ouvrirent un feu nourri de canons et de mousqueterie jusqu’à ce qu’ils viennent à bout des deux vaisseaux malouins. Ne pouvant plus manœuvrer avec les vents du large, ces deux bâtiments se sont échoués sur la côte et les équipages ont rejoint la terre.

Le 28 janvier 1691, le vaisseau Pierre Marie retournait à Saint-Malo, son port d’attache, quand à hauteur des Bermudes, il fit face à une flûte anglaise se rendant en Virginie, les cales remplies de tabac. La flûte fut aussitôt prise et ramenée dans le Cul de Sac du Fort Royal de la Martinique.

Le capitaine malouin Lefebvre commandait Le François de la Paix, arrivé en 1707 en Guyane Française avec la prise d’un navire irlandais, Le Salmon. Après la capture, le capitaine demanda le paiement sur la prise, tandis que d’autres navires corsaires français partaient revendre les cargaisons des bateaux pris à l’ennemi : esclaves, poisson salé, chevaux, etc…

Le Saint-Jean-Baptiste la Perle de Saint-Malo était un autre navire marchand qui avait fait la prise du Saint-Joseph en 1710, mais l’ayant fait échouer en raison de ses gréements défectueux, il ne put le ramener au port de Cayenne.