inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

On les voit sans les voir… Ils sont là, intimement inscrits dans les paysages agricoles et littoraux de Bretagne. Ils retiennent les terres, protègent, abritent, mais leur histoire est souvent oubliée et leurs qualités méconnues. Et ils disparaissent faute d’attention. Témoins discrets de techniques ancestrales et quasi-universelles, murets, perrés, cales, quais, digues et autres aménagement en pierre sèche apportent pourtant bien des réponses à des préoccupations d’aujourd’hui.

 

Depuis 2018, l’art de la construction en pierre sèche est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Et si l’on pense plutôt d’emblée aux paysages méditerranéens, force est de constater la très grande variété d’éléments représentatifs de cette technique en Bretagne. La généralisation de la chaux hydraulique au XIXe siècle et la mécanisation de l’agriculture ont pourtant entraîné – ici comme ailleurs – leur abandon.

 

Murets d’épierrement à l’Île-de-Sein (29) © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

Une économie de la valorisation du déchet et du local

Dès les premières pratiques agricoles, on retire les pierres remontées lors des labours ou des récoltes, et on les assemble en marge des espaces cultivés. Au fil des ans, le mur s’élabore, marque la limite des parcelles, organise le parcage du bétail, optimise les surfaces utilisables, aménage les pentes, protège les terres des assauts de la mer, se complète, se reprend au fil des épierrements successifs. Sur certains territoires, les murets racontent l’extrême parcellisation des terres. À Ouessant, le cadastre de 1844 dénombre 45 000 parcelles aux formes très laniérées. Ailleurs, on utilise galets, pierres arrachées par la mer ou déchets de carrière pour aménager gués, pêcheries, abris, cales, murets littoraux, perrés…

Sur les pentes, les murets optimisent les surfaces utilisables. En régulant l’écoulement des eaux tout en s’opposant à la poussée des terres, les terrasses réduisent l’érosion, constituent de véritables bassins de rétention qui préviennent des inondations. Elles tempèrent aussi le milieu proche en stockant la chaleur du jour et en la restituant la nuit.

Le muret peut également protéger les terres arables d’une érosion qui vient d’en bas. Des kilomètres de murets littoraux aux ondulations dictées par la topographie préservent les côtes bretonnes des assauts des vagues. Leur hauteur coïncide avec celle des plus hautes eaux. Parfaitement intégrées dans les paysages

Mur de soutènement du bassin de rétention du moulin à marée de Bili Gwenn à Troguéry (22) © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

puisqu’elles en sont directement issues, les constructions de pierre sèche participent donc à l’équilibre agronomique et paysager. Elles favorisent aussi l’insertion et la diversité des espèces végétales et animales et abritent autant de niches écologiques qui participe à la fertilité des sols et à l’équilibre biologique.

En Bretagne, la famille de la pierre sèche inclue aussi les constructions utilisant la terre prélevée sur place (pri tousog ou boue des crapauds), et – notamment pour les constructions littorales – les maçonneries mettant en œuvre des blocs équarris, voire taillés, pour des assemblages plus ajustés. La terre utilisée (sans adjonction de liant, mais parfois mêlée de graviers et pierrailles) participe pleinement à la fonction de drainage, de régulation hygrométrique et à l’équilibre des poussées.

À contrario, pour les routoirs et autres ouvrages destinés à retenir l’eau, l’insertion d’argile installe un matelas d’étanchéité. Certaines constructions – comme les murs-talus du Trégor – démontrent également la pertinence de l’association du végétal à la maçonnerie : surmontés ou ponctués d’arbustes ou arbres, ils fournissent du même coup bois d’œuvre, de chauffage, fourrage d’appoint, et fruits. À l’inverse de convictions faussement répandues, les racines participent activement du maintien de l’ouvrage. Une dévégétalisation brutale fragilise l’édifice et l’écosystème qu’il abrite.

 

Des architectures sans histoire mais universelles

Depuis le muret formant pêcherie édifié au Néolithique, la technique constructive en pierre sèche est restée identique – et elle est similaire aussi en tout point de la planète. Seule la fonction est un indice pour porter une datation en la croisant avec des sources historiques.

Perré retenant une terrasse, Les Gâtines à Saint-Père-Marc-en-Poulet (35) © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne ; © Université Rennes 2

On peut penser que jusqu’au début du XXe siècle en Europe occidentale, la pratique de l’empilement ordonnée de pierres était maîtrisée par la quasi-totalité des populations rurales. La construction comme le reprisage des murs relevait des tâches partagées par tous. L’observation attentive d’un mur permet souvent d’en deviner les phases successives d’édification, les reprises, les mains plus expertes et les assemblages plus subtils. Comme toute maçonnerie traditionnelle, le choix et l’ajustement de chaque pierre requièrent un savoir-faire avéré, et l’ensemble s’apprécie à son homogénéité, à la régularité et au rythme de ses assises…

L’absence de mortier accentue l’exigence technique pour compenser le poinçonnement lié au poids de la maçonnerie et, dans le cas de murs terrasses, à la pression des volumes retenus. Des expérimentations permettent aujourd’hui de vérifier la résistance de ces constructions, leur capacité à absorber d’importantes poussées et de légers mouvements ou vibrations (assauts des vagues, secousses telluriques, mouvements géologiques, etc.). En revanche, l’absence d’entretien et les dégradations mécaniques les fragilisent rapidement. Depuis le milieu du XXe siècle, ces murets ont été progressivement abandonnés, remplacés par de nouvelles clôtures aux matériaux hétérogènes ou par des enrochements, absorbés par la végétation…

 

Opération de recensement des perrés de Rance © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne ; © Université Rennes 2

Redécouvertes ?

Avant même la labellisation Unesco, des programmes de réhabilitation ont débutés. À Molène, le Parc Naturel Régional d’Armorique a initié une action de restauration participative avec la municipalité de l’île. Dans le Trégor, l’école des talus a porté la restauration de nombreux murs talus et formé des techniciens communaux à leur entretien. En 2019, le master restauration et réhabilitation du patrimoine bâti de Rennes 2 a engagé, en partenariat avec l’association CŒUR Émeraude, un inventaire des perrés de l’estuaire de la Rance.
Autant d’initiatives témoignant du démarrage d’une réflexion à partager au niveau régional sur les solutions vertueuses en regard des risques de submersion marine de certains territoires.

 

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