inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

De résidence prestigieuse en cabanon, l’architecture des vacances écrit le littoral … Depuis l’époque des congés payés, villages et lotissements de vacances témoignent d’un bouleversement de la perception de l’espace côtier et de mutations profondes de la société d’après-guerre.

En s’associant à l’Université Rennes 2 au travers d’une thèse de doctorat CIFRE consacrée au sujet, l’Inventaire entend renouveler la connaissance du patrimoine balnéaire. Car si celui-ci évoque d’emblée le pittoresque de luxueuses villas, force est de constater que le fait touristique de bord de mer embrasse une diversité d’architectures bien plus large…et parfois insoupçonnée !

 

Désir(s) de rivage : la construction d’un regard

Le littoral est sans doute le paysage dont la perception a connu le plus fort basculement depuis la fin du XVIIIe siècle. Sous l’influence du romantisme, l’océan, autrefois perçu comme dangereux et insondable, incarne le paysage rêvé par excellence. Le rivage, jadis hostile, devient un lieu empreint de sensualité, offrant un cadre propice à de nouvelles expériences et sensations. Expériences du corps, avec le plaisir des bains de mer et la libération progressive des corps, mais également d’introspection.

En Bretagne, l’arrivée de touristes fortunés, et parmi eux de nombreux artistes en quête de paysages sauvages et de scènes paysannes, participe notablement à la mise en récit des paysages côtiers. La naissance puis la diffusion de la carte postale à la fin du XIXe siècle, relaye et amplifie ce nouveau « désir de rivage » et conditionne le regard des générations suivantes de vacanciers.

 

L’invention des congés payés en 1936 bouleverse à nouveau le destin des littoraux : leur promulgation révolutionne les modes de vies des classes moyennes et populaires. Désormais le littoral est accessible à tous. Dès lors, de petits lotissements de cabanons à la facture modeste fleurissent sur la côte et dessinent de nouveaux comptoirs touristiques. Interrompues par la guerre, ces premières expériences de villégiature populaire explosent pendant les Trente Glorieuses, à l’image du lotissement du Valais à Saint-Brieuc. Inventoriés en 2022 dans le cadre d’un stage de master, ces cabanons témoignent d’une appropriation progressive du littoral par la classe ouvrière briochine dès 1929. Soutenu par la démocratisation de la voiture et une période de croissance économique propice aux loisirs, le tourisme de masse élit le bord de mer comme destination estivale par excellence. Entre développement des loisirs et nécessité de reconstruction, la France d’après 1945 devient le terrain d’expériences architecturales ambitieuses et progressistes.

Photographie : lotissements du Valais, Saint-Brieuc (22),© Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne.

Légende : les cabanons de la plage du Valais racontent l’histoire sociale, architecturale et paysagère du littoral briochin depuis la fin des années 1930.

 

Un laboratoire d’innovations à l’échelle régionale

Croisant les préoccupations liées à l’habitat dans le renouvellement de la pensée architecturale d’après-guerre, villages-clubs, résidences collectives et lotissements de cabanons auto-construits traduisent l’esprit de communauté de ceux qui les occupent. Qu’elles soient le fruit de la pensée d’un architecte ou le résultat d’expériences de cabaniers inspirés, ces architectures reflètent l’ingéniosité et l’inspiration de leurs créateurs en investissant de nouvelles techniques de construction et des formes innovantes. Toitures monumentales, pyramides d’ardoise, architectures-bulles en béton projeté ou wagon réemployé, le corpus dévoile la diversité et la qualité de ces productions architecturales. L’imagination est aussi sans limite dans l’étonnante diversité de décors qui s’emparent de ces édifices : fresques, sculptures ou décors dialoguent avec l’architecture. Donner à voir ce remarquable répertoire d’œuvres et d’expériences architecturales issues de la culture populaire légué par le développement d’un tourisme littoral accessible à tous.tes est l’un des enjeux de l’enquête d’Inventaire.

 

Photographie : Village vacances ‘Le Renouveau’, Fouesnant (29), © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne.

Légende : La collaboration en 1969 de l’architecte Henri Mouette avec le sculpteur Pierre Székely aboutit à cette plastique singulière et sphérique, inspirée par des recherches en matière d’écologie et d’économie des matériaux.

 

Un nouveau souffle pour l’exploration du patrimoine balnéaire

Bien que l’esthétique étonnante et l’histoire de certains de ces sites leur confère valeur et reconnaissance, d’autres ne suscitent que peu d’intérêt, voire déplaisent ou dérangent. Bétonisation excessive de la côte, verrues architecturales, squat ou irrégularité juridique, l’urbanisation de la côte n’a pas fini de faire couler l’encre.

Si la formule collective séduit les vacanciers jusque dans les années 1970, l’individualisation progressive de nos sociétés a peu à peu triomphé de l’idéologie communautaire et des grands plans d’aménagement du littoral. Malgré la forte concurrence de l’offre hôtelière, n’est-ce pas alors dans leur capacité à répondre à certaines problématiques contemporaines (mitage des côtes, individualisation des comportements, manque de cohésion sociale) que les structures collectives nées au milieu du XXe pourraient trouver un nouvel élan ? La connaissance fine de l’organisation fonctionnelle et des usages de ces architectures au fil du temps peut constituer un ancrage solide pour faire de l’architecture des vacances, à travers la question du « faire commun », à nouveau un projet de société.