inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

Les photographies sont présentes en grand nombre, dans les musées, les services d’archives, les bibliothèques et sommeillent également chez bon nombre de particuliers. Qu’elles soient collectionnées pour leurs qualités artistiques ou leur valeur documentaire, toutes viennent documenter avec profit une histoire économique et sociale et témoignent de pratiques (vestimentaires pour n’en citer qu’une parmi tant d’autres), parfois disparues.

En acquérant des fonds par le biais d’achats, de dons ou de legs, les musées sauvent de l’oubli et de la disparition ces biens culturels qui bien qu’assez récents (l’invention de la photographie remonte à 1839), n’en demeurent pas moins très fragiles, extrêmement sensibles aux conditions environnementales et aux manipulations.  Adopter les mesures conservatoires adéquates garantiront leur conservation dans le temps mais débute alors un travail long, depuis le processus d’examen, de restauration, de conditionnement, en passant par l’indexation et la numérisation, avant que le public puisse accéder à des ressources organisées et mises en ligne, et en disposer sous conditions.

 

1. METTRE EN PARTAGE DES COLLECTIONS REMARQUABLES :

Depuis le début de l’année 2023, le Musée de Préhistoire de Carnac révèle en ligne plus de 4 000 plaques photographiques dont certaines prises par Zacharie Le Rouzic lui-même, archéologue-préhistorien de Carnac et premier conservateur du musée. Nommé correspondant de la Commission des Monuments Historiques pour le Morbihan en 1926, il procède au classement de 123 biens et photographie chaque monument qu’il inventorie, fouille ou restaure : des archives particulièrement précieuses qui attestent de la permanence de certains patrimoines comme de l’évolution des paysages. Si les visiteurs ignoraient jusqu’à maintenant l’existence de ces ressources inédites, désormais plus d’excuses !

Les plus curieux peuvent consulter et interroger la base de données par grands domaines, par communes ou bien à l’aide de mots-clefs libres. La surprise ? On dépasse largement le cadre du seul thème du mégalithisme et on peut emboiter le pas aux touristes de l’époque qui parcourent la Bretagne, le long de ses côtes, dans ses terres…

 

Il conserve et gère une collection de 120 000 cartes postales anciennes. Leur valeur documentaire ne fait aucun doute en illustrant des domaines aussi variés que la culture régionale (pardons, costumes, univers maritime…), l’ethnographie ou l’évolution des paysages urbains ou ruraux, avec leurs monuments. Chaque année, les fonds qui ne concernent pas directement la Bretagne sont valorisés à l’occasion d’une exposition temporaire (Le Corbusier en 2019, ExplorAfrique, La femme dans l’Art Nouveau, la Croisière Jaune, Correspondances depuis le front, etc…)

Le caractère multiple de ce support que détiennent aussi d’autres institutions publiques (services d’archives               municipales et départementales, bibliothèques, centres d’art…et près de 60 000 au Musée de Bretagne) est ici             traité comme un document unique à part entière : la carte postale y est numérisée, décrite et indexée, tout               comme la correspondance ou le timbre qui y ont été apposés. La base de données en ligne est une vraie mine             de renseignements qui invite à reconsidérer avec plus d’intérêt ces petits morceaux de carton !

 

Il a été le tout premier à ouvrir son Portail des collections permettant ainsi aux internautes d’accéder en 2017 à plus de 350 000 œuvres et documents sur les 600 000 conservés au Musée de Bretagne et à l’Écomusée de la Bintinais, deux  équipements gérés par Rennes Métropole. Cette ouverture s’est faite dans le respect de la législation et s’inscrit dans une politique globale de Rennes Métropole en faveur du numérique. Avec ce site, le musée s’engage résolument dans une politique de partage de connaissances en choisissant pour chaque image la licence la plus ouverte possible de type Créative Commons/Domaine public.

Dans le cadre du chantier des collections, 70 000 documents supplémentaires sont numérisés et partagés chaque année. Libre à chacun·e de TELECHARGER les fiches descriptives ou les images, gratuitement et sans demande d’autorisation préalable, de les REUTILISER, de PARTAGER ses coups de cœur ou encore d’AIDER A IDENTIFIER/LOCALISER des clichés de la collection.

Le saviez-vous ? Cette démarche de promotion d’un numérique libre et accessible à toutes & à tous a été saluée et récompensée par le Label Culture Libre décerné dans la catégorie Or par Wikimédia France.

 

Certains musées, comme le Musée d’Art et d’Histoire de SAINT-BRIEUC, ont choisi le partenariat pour gagner en visibilité, grâce au Portail des cultures de Bretagne, Bretania. Carnac et Baud sont aussi de ceux-là.

Le site, porté par la Région Bretagne et animé par l’association Bretagne Culture Diversité, s’appuie sur un important réseau d’acteurs et devient la porte d‘accès et le porte-voix des ressources culturelles et patrimoniales numérisées concernant la Bretagne. La condition préalable : tout ou partie de ces fonds doit être directement accessible au public, en ligne et sans condition. Au menu : photographies et cartes postales, archives de la presse, bulletins des sociétés savantes, fonds issus de la recherche universitaire, archives du patrimoine oral ou audiovisuelles, collections de musées, inventaires patrimoniaux et architecturaux, fonds iconographiques, cartes, plans, manuscrits et autres livres rares. Un gisement incontournable de ressources pour qui s’intéresse à la Bretagne !

 

2. CONFINEMENT : POSER UN AUTRE REGARD SUR L’ACTUALITE

  • Jouer : « Carambolages et Confinement »

En avril 2020, presque tous les musées du monde entier ont fermé leurs portes à cause de la pandémie de COVID-19, alors nombreux sont ceux qui ont fait le choix, au-delà des réseaux sociaux, de renforcer leurs activités numériques pour conserver le lien avec leurs publics et entretenir une forme de solidarité bienveillante au quotidien. Ainsi le Musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc a expérimenté une action originale et ludique à partir du principal fonds photographique qu’il conserve (12 000 plaques de verre tout de même !), à savoir celui du briochin Lucien Bailly (1881-1975) dont on voit la boutique en vignette (Collection Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Brieuc).

Fort de l’ouverture des données libérées en Opendata, après plusieurs campagnes de numérisation, le musée a développé ponctuellement une application originale appelée « générateur de cartes postales numériques dérangées ».  Ne restait plus au public internaute qu’à s’emparer avec humour de ces images muettes !

Mode d’emploi :

  1. sélectionner une image parmi d’autres depuis un site dédié pour l’occasion,
  2. lui associer un slogan drôle ou farfelu, spécial confinement #covid19 (le site en proposait quelques-uns tout faits),
  3. la coloriser artificiellement,
  4. la partager sa création sur les réseaux sociaux ou avec ses proches.

Sortir l’objet patrimonial de son cadre habituel et le faire entrer en résonance avec le moment présent, c’est aussi ce que proposent les musées. De l’Opendata à Muséomix, ces pratiques dites « ouvertes » qu’expérimente volontiers le musée, concourent à faciliter l’accès aux collections sous un format ludique, et à faire évoluer la perception habituelle que le visiteur peut en avoir. Iriane Néré et Nicolas Poulain reviennent sur le processus (4’24)

 

  • Ou témoigner : garder la mémoire de 2020

Dans le même temps, le Musée de Bretagne lançait un appel à participation aux photographes professionnels exerçant en Bretagne et à ceux qui avaient photographié la région durant les épisodes de confinement.  Il souhaitait ainsi pouvoir contribuer à sa manière à l’inscription de cet événement sur le temps long et pouvoir acquérir une sélection de 10 œuvres « témoins » qui intégreraient les collections du musée, après avis favorable de la Commission Régionale d’Acquisition pour les Musées (une condition nécessaire fixée par la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, et valable autant pour les fonds anciens que contemporains).

Malgré une mise à l’arrêt forcée, les photographes ont été particulièrement sensibles et réceptifs à ces nouveaux sujets à même de rendre compte de nos vies bouleversées : la transformation des paysages, des ambiances, l’extérieur et l’ailleurs temporairement inaccessibles, la sphère de l’intime ou du quotidien.

 

3. QUAND LA PHOTOGRAPHIE S’EXERCAIT AU FEMININ :

Si les photographes sont nombreux, on oublie parfois que des femmes ont aussi embrassé cette carrière au début du 20ème siècle :

Yvonne Kerdudo à Plouaret (Côtes-d’Armor) et Anne Robert-Catherine à Redon (Ille-et-Vilaine) sont de celles-là.

Autoportrait d’Yvonne Kerdudo, négatif sur verre © Collection Compagnie Papier Théâtre / plaquette « Le vélo Photo de Madame Yvonne ».

 

 

 

 

 

 

Pendant 50 ans (de 1902 à 1952), Yvonne Kerdudo ou Madame Yvonne (1878 – 1954), comme on avait coutume de l’appeler, a sillonné à vélo les communes rurales situées à une quarantaine de kilomètres à la ronde du village de Plouaret, pour répondre à la commande de familles, d’élus ou de notables. La particularité de cette photographe itinérante ? Après avoir passé ses diplômes d’aide-soignante puis d’infirmière, elle se forme auprès des frères Lumière, rien de moins ! Mais elle choisit de revenir dans son Trégor natal et s’installe à son compte à Plouaret. Elle se déplace à vélo avec son matériel.

Ses clichés immortalisent des moments clefs comme les baptêmes, communions, mariages, ou le départ pour le front, mais aussi les fêtes, les battages ou autres scènes de travail et offrent un visage à tous les âges de la vie (des enfants, les vieux, mais aussi… les défunts). Ce fonds photographique (22 000 photos) était jusqu’alors géré et valorisé par la Compagnie Papier Théâtre basée au Vieux-Marché.

 

 

 

 

Anne Robert-Catherine (1874-1958) ouvre son studio rue Notre-Dame puis rue de la Gare à Redon et exerce son activité en continu jusqu’en 1927; sa clientèle est celle de la ville mais également celle des campagnes où elle se déplace pour y fixer des cérémonies de passage, communions, conscriptions et mariages. Elle aussi répond à la commande mais elle saisit également dans son objectif les changements qui, petit à petit, marquent de leur empreinte la société. Le Musée de Bretagne a fait l’acquisition de son matériel professionnel en même temps que celle des décors de son studio.

En saisissant les instants de la vie, toutes deux ont révélé un autre visage du territoire et immortalisé une mémoire collective que des musées et acteurs culturels du monde associatif s’emploient à faire connaître et à valoriser. Un parcours thématique est consacré à Anne Robert-Catherine sur le Portail des collections du Musée de Bretagne et de l’Écomusée de la Bintinais.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autoportrait d’Anne Robert-Catherine, négatif sur verre pris dans le 1er quart du 20e siècle. Collections Musée de Bretagne et Écomusée de la Bintinais / Licence CC-BY-NC-ND

 

 

FOCUS sur les toiles de fond du studio redonnais :

Comme dans beaucoup de studios provinciaux ou parisiens, il était d’usage de faire prendre la pose devant une toile peinte servant d’arrière-plan scénographique : château ou village se devinant dans le fond d’un paysage, jardin d’agrément, intérieur d’église néo-gothique ou de belle demeure…, des modèles qui sont sensiblement ceux que l’on réalise pour les théâtres.

Si la technique est similaire (peinture à la colle, souvent dans un camaïeu de bistres, et en fine couche pour pouvoir ensuite rouler et dérouler la toile plus aisément), leurs dimensions diffèrent : 205 cm de haut sur 199 cm de large. Elles étaient fixées au moyen de semences clouées sur des baguettes de bois, en parties haute et basse, et rangées dans des fourreaux de toile.  Deux vues intérieures sont datées et signées en bas à gauche « E. Bréon 1900 » et « E. Bréon 13 décembre 1901 ».   Visionner le diaporama.

Ces éléments constitutifs de la panoplie du photographe ont été soumis à l’épreuve du temps, fragilisés par le transport en vélo ou en voiture, et les manipulations répétées. Les décors aujourd’hui conservés au Musée de Bretagne ont fait l’objet d’une restauration minutieuse dans un atelier de conservation-restauration d’œuvres peintes : nettoyage de la couche picturale, consolidation des déchirures et autres accidents, puis réintégration illusionniste les lacunes, là où les pigments ont disparu, pour une meilleure lisibilité d’ensemble. La fabrication de suspentes d’accrochage et le conditionnement pour un stockage en réserves sont venus parachever cette étape.

Autre figure féminine importante, Louise Jeanne Marie Barbée dite Jeanne Marie Barbey (1876 -1960) : cette jeune parisienne, professeur de dessin et artiste peintre formée auprès des peintres naturalistes Henri Royer et Désiré-Lucas, utilise la photographie comme esquisse à son travail pictural. Elle séjourne régulièrement en Bretagne et fait provision d’images, paysages, portraits, et scènes de la vie rurale à Gourin (Morbihan) où son frère tient l’hôtel de la Croix Verte, ainsi qu’au cœur des villages du Faouët.

Portrait de la famille Barbey (à gauche, Jeanne-Marie), négatif sur verre pris vers 1920 par Jeanne-Marie Barbey (?) © Collections Musée de Bretagne et Écomusée de la Bintinais.

 

 

 

 

Si elle adopte la pose classique pour ce portrait de famille sur fond de jardin d’hiver (encore un autre type de décor en vogue), les quelques 200 plaques de verre négatives acquises par le Musée de Bretagne révèlent un regard photographique plein d’empathie, voire de tendresse pour les habitants qu’elle portraiture, parfois dans l’intimité de leur logis, dans leurs activités quotidiennes ou auprès de leurs bêtes.

Son talent de peintre transparaît très nettement puisque chaque prise révèle un vrai travail de composition qui vient nourrir ensuite son œuvre picturale. L’exposition temporaire « Regard(s) » lui a été consacrée en 2017-2018 par le Musée des Beaux-arts de Vannes – La Cohue et le Musée du Faouët présentait ses photos et peintures et en 2018 ; le Musée de Vannes a reçu en don son fonds d’atelier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4. BIEN CONSERVER POUR POUVOIR VALORISER :

La préservation des collections photographiques, qu’elles soient anciennes ou plus récentes, obéissent à un certain nombre de règles et de normes. Le Vademecum « Prise en main d’un fonds de photographies » établi en 2016 par le Ministère de la Culture demeure en la matière un document de référence, aux côtés de bien d’autres ressources. L’article suivant du Portail France Archives est à ce titre riche d’informations pratiques.

Les 3 exemples à suivre eux ne sont qu’un tout petit aperçu des recommandations utiles pour qui s’intéresse au sujet…

  • Sensibiliser et former les personnels

Face à la centaine de procédés photographiques existants (positifs, négatifs, ektachromes, supports de papier, verre, métal, plastique ; liants de gélatine, d’albumine ou de collodion, des images argentiques ou pigmentaires, montées sur carton, réunies en album, ou conservées en vrac…), difficile d’identifier et de remédier à toutes les causes de dégradation, d’autant qu’il n’est pas rare que des fonds aient séjourné dans de mauvaises conditions, dans une cave ou un grenier…. La formation dispensée aux équipes par un conservateur·trice-préventeur·trice (expert en mesures de conservation préventive) reste le meilleur point de départ avant d’envisager, au cas par cas, des opérations de restauration.

Le Centre d’Art Gwinzegal, le Musée de Bretagne, l’association Bretagne Musées ont également permis d’accélérer la prise de conscience en la matière grâce à des journées d’étude interprofessionnelles :

  • Gérer le climat !

Une température trop élevée, une humidité trop forte ou trop basse, des variations trop importantes de l’une ou de l’autre, auxquelles peut s’ajouter la présence de polluants, accélèrent le processus de dégradation des photographies. Les détériorations sont d’ordre chimique (hydrolyse, oxydation), physique (déformation, décollement, cassures, déchirures) ou biologique (moisissures). Dans la mesure du possible, il convient de leur trouver un espace, sec, frais et stable.

La cohabitation de supports de la nature chimique différente, la dégradation du support combinée à des conditions climatiques particulières peuvent aussi entraîner l’autodestruction des photographies sur support nitrate de cellulose (premier support photographique souple breveté pour les pellicules de films) par exemple, qui peuvent tout simplement s’enflammer ! Le cas a d’ailleurs été rencontré par le Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Brieuc, alors la parade reste… la congélation, car plus il fait froid plus on ralentit le processus de dégradation de ce type de support !

 

  • L’importance du conditionnement

La restauration des photographies s’avère assez proche de la restauration d’arts graphiques (livres, dessins, gravures, affiches, collages, etc…) dans le sens où elle nécessite des opérations de dépoussiérage au pinceau, de consolidation, de démontage-montage pour une conservation optimale, mais les matériaux mis en œuvre sont différents et leur emploi nécessite une formation bien particulière.

Le conditionnement vient offrir une protection efficace contre la poussière, les chocs mécaniques, la lumière, les variations de température et d’humidité et contre la pollution, avant même d’organiser le rangement des documents. Mais pour être tout à fait utile et efficace, encore faut-il choisir les matériaux les plus adéquats répondant aux normes de conservation des documents photographiques (Norme ISO 18911) et d’adapter le stockage en fonction des différents formats de photographies et des manipulations à venir.

Le saviez-vous ? Ces objets fragiles doivent être manipulés avec précaution, en portant des gants synthétiques ou de coton si possible, car la transpiration (mélange d’enzymes, de graisses, d’eau et d’acides) peut y laisser des traces indélébiles.

 

5. DECOUVRIR : FLORILEGE D’EXPOSITIONS EN 2023-2024 dans le réseau des Musées de France bretons

  • Faire corps, photographies d’Anne-Cécile Estève et des habitants des Monts d’Arrée, à l’Ecomusée des Monts d’Arrée – Maison Cornec à Saint-Rivoal jusqu’au 3 novembre 2023
  • Ys (interprétation photographique contemporaine des traces et stigmates d’une des plus célèbres légendes bretonnes née dans la baie de Douarnenez) au Port-musée de Douarnenez jusqu’au 5 novembre 2023
  • La vie en photographie, Mathieu Pernot au Musée de Bretagne jusqu’au 3 décembre 2023
  • Plongée, contre-plongée : les sous-marins dans l’objectif au Musée national de la marine à Brest jusqu’au 10 mars 2024
  • Modes et clichés dans le parcours permanent du Musée départemental breton de Quimper depuis avril 2023.