Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, environ 30 000 baraques préfabriquées furent construites en Bretagne pour loger les sinistrés. Bâties dans l’urgence et censées rester provisoires, elles ont duré… Des centaines d’entre elles sont même encore debout, habitées, choyées et même patrimonialisées pour certaines en micro-musées. Intégrées désormais à l’Inventaire du patrimoine de Bretagne, elles bénéficient enfin de la reconnaissance qu’elles méritent après avoir été longtemps considérées comme du « consommable », voire même des « verrues dans la rue ».
En 2018, la proposition de l’association Mémoire de Soye de les inventorier est sélectionnée par la Région Bretagne : il s’agit alors d’en dénicher, de les photographier, les filmer, recueillir les témoignages de leurs habitants, mais aussi recenser toutes celles dont il reste une trace documentaire, mais qui ont disparu, et d’intégrer le tout aux bases de données de l’Inventaire.
Le travail est mené par deux « baraquophiles », Mickaël Sendra, président de l’association Mémoire de Soye, et Elisabeth Blanchet, photographe et journaliste. Leur obstination à dégotter ces témoins de la reconstruction et à investir ce sujet peu exploré leur a valu le surnom de Dupond & Dupont ! Depuis le début des années 2000 en effet, ils explorent le terrain, les archives, les bibliothèques, la grande toile de l’internet et ont acquis une réelle expertise du sujet. Ils savent identifier les différents types de baraques, répertoriées selon leur pays d’origine (France, Canada, États-Unis, Suisse, Finlande, Autriche, Suède…). Ils ont pu affiner les évaluations quantitatives et compiler des informations sur leurs modes de fabrication. Enfin, nourris des précieuses contributions de leurs occupants, d’historiens, d’archivistes et d’autres passionnés, ils travaillent sur la préservation de la mémoire de ces édifices précaires.
Un travail de longue haleine qui démarre toujours sur le terrain. On signale parfois à nos deux acolytes des informations indiquant une présence possible. D’autres fois, ils se fient à leur flair, à l’histoire des lieux et aux rumeurs glanées dans les parages. Dès qu’une « nouvelle » baraque est repérée, la paire de détectives y court. Presque toujours, les portes s’ouvrent et les Duponts repartent quelques heures plus tard, carnets et caméras pleins de notes et d’anecdotes sur l’histoire de la baraque et de ses habitants.
Depuis le début de l’enquête engagée avec la Région Bretagne, en lien étroit avec l’association Mémoire de Soye (de Ploemeur, Morbihan), Elisabeth et Mickaël ont recensé plus de 400 baraques dont des modèles jusque-là non identifiés. Toutes sont accessibles depuis le portail patrimoine.bretagne.bzh. Certaines notices intègrent des interviews filmées d’habitants, des récits, des photographies anciennes ou contemporaines, des documents d’archives… Parallèlement, les Duponts ont également produit une exposition Préfabuleux qui peut itinérer, co-organisé avec la Ville de Lorient une journée d’étude sur la patrimonialisation des baraques et rédigé un livre (publication prévue septembre 2021). Un long dossier a également été publié dans l’éclairante revue ArMen. Grâce aux bénévoles de Mémoire de Soye et d’autres associations de baraques, la Cité de l’Habitat Provisoire de Soye – constituée de trois baraques d’origines française, américaine et canadienne reconstruites, chacune inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques depuis 2016 et transformées en micro-musées – ne cesse d’évoluer et souhaiterait accueillir une autre baraque, centre d’interprétation, qui donnerait une plus grande perspective encore à l’histoire et à la vie des baraques. En somme, la préfabuleuse aventure continue !
