inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

Au lendemain de l’armistice du 11 novembre 1918, les communes françaises se mobilisent pour engager la construction de monuments commémoratifs en hommage à leurs enfants disparus. Leur mémoire est portée par ceux qui ont eu la chance de revenir. Les  toutes nouvelles associations d’anciens combattants sont porteuses d’un vibrant pacifisme répétant que cette guerre doit être la « der des der ».

En quelques années, près de 36 000 sont érigés sur le territoire national. Des  ateliers de fonderie produisent même en série des statues de poilus. En l’absence de tombes pour honorer les disparus, le monument est le lieu du recueillement ; sa taille, son emplacement, sa forme et les choix artistiques restituent des histoires propres à chaque commune. L’État apporte une aide financière, mais des souscriptions populaires couvrent souvent la majeure partie des coûts. Chaque projet doit obtenir l’approbation du Préfet, éclairé de l’avis d’une Commission artistique départementale.

 

Au fil des enquêtes topographiques menées sur le territoire régional, l’Inventaire a photographié un grand nombre de monuments aux morts. Le centième anniversaire de la fin de conflit invite à les visiter, en étendant le regard à d’autres formes commémoratives (verrières, tableaux…) également repérées au fil des enquêtes. En explorant d’un côté la figure du combattant, et de l’autre la mise en scène de ceux qui restent, deux albums de la photothèque restituent une sélection de ces témoignages, autour d’un fil conducteur, celui d’une expression régionale.

 

L’organisation locale et départementale de la commande publique de ces monuments encouragent en effet les talents identifiés. Celui de Saint-Pol-de-Léon (29) témoigne de façon spectaculaire du talent du « couple » architecte/sculpteur réunissant Charles Chaussepied et René Quillivic qui trouve d’ailleurs dans cet élan créatif un tremplin de notoriété.

La sensibilité régionaliste anime aussi le travail de Henri Gouzien (Baud, 56), Francis Renaud (Tréguier, 22), Emmanuel Guérin (Bédée, 35). Leurs monuments sont autant de « photographies » d’une société en deuil, comme si l’évocation des disparus se faisait plus criante dans le grain sombre de la kersantite ou dans la masse du granit, matériaux d’exception dont ils sont les héritiers d’une longue tradition de sculpture.

Leurs compositions restituent alors la richesse des costumes bretons. Comme partout, la figure de la femme (qu’elle soit l’épouse, la fiancée, la mère ou l’aïeule) est fréquemment retenue pour incarner le deuil de toute une population. Ici elle porte la polka, la catiole, la chikoloden, la cornette et autres coiffes de chaque pays. L’habit des hommes aussi raconte qu’on a mis le vêtement de cérémonie pour rendre hommage aux disparus.

Mais même lorsque la mort fait brutalement irruption dans le quotidien sous la forme d’une lettre (Combourg, 35), le monument cristallise la dignité. Même lorsque la femme n’est plus cette stabat mater, mais qu’elle ne peut que pleurer assise, prostrée dans sa cape de deuil (Tréguier, 22). Même lorsqu’à l’inverse de ces représentations allégoriques, René Quillivic choisit à Plozévet (29) de représenter explicitement un paysan de la commune, Sébastien Gouil, dont les trois fils et le gendre sont morts au combat, comme si la haute pierre qui le domine matérialisait sa douleur.

 

Monument érigé par Jean Le Rumeur, carrier de Huelgoat, d’après le plan de Charles Chaussepied, architecte de Quimper. Les sculptures représentent « un soldat, un marin et une femme en prière en costume du pays ». – © Région Bretagne

 

Singularité régionale, nombre de monuments bretons soulignent aussi l’engagement de la Marine dans le conflit : des marins sont figurés aux côtés des poilus, des ancres croisent des croix ou s’ornent de palmes.

Monument aux morts de Tréflaouénan (29) avec une inscription en breton – © Région Bretagne

 

En dépit des lois républicaines, certains monuments insèrent des inscriptions en breton (Guidel, 56) ou des hermines (Melrand, 56). Plus fréquemment encore dans les églises ou sur des réalisations issues de financement privés (Melrand, 56 ; Tréflez, 22…). Ces réalisations s’affranchissent d’ailleurs des codifications des monuments de pierre, et développent des épisodes figurés mettant en scène des enfants du pays, devenus héros du conflit : naufrage du navire Le Bouvet dans les Dardanelles (Tréguier, 22), attaques aériennes…

Plus libres, ces représentations plus libres célèbrent aussi des apparitions mariales (Jugon-les-lacs, 22) ou se risquent même à évoquer la dérision du sacrifice : sur un tableau d’autel de l’église Saint-Pierre de Saint-Carné (22), une tombe de fortune, quasiment abandonnée dans un paysage vide et désolé, où s’entremêle la couronne de la victoire, une palme symbolisant la paix, un phylactère, des barbelés et des symboles dérisoires d’une vie sacrifiée et d’un combat inutile.

 

Retrouvez les albums « 1914-1918, l’hommage aux combattants » et « 1914-1918, la douleur de ceux qui restent ».