inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

Le dossier de candidature au label «  Pays d’art et d’histoire »  que s’apprête à déposer Lannion-Trégor Communauté auprès du ministère de la Culture marque la reconnaissance d’un effort partagé avec la Région Bretagne. À l’échelle régionale, c’est en effet le territoire le plus densément couvert par des études d’Inventaire, et le plus publié dans la ligne éditoriale de la Région. Les chiffres donnent le vertige : 15 549 notices de recensement, 6 856 dossiers d’études et 42 570 photographies pour ce territoire composé de 60 communes (aujourd’hui 57 avec les fusions) comprenant les villes de Lannion, Tréguier et La Roche-Derrien. Ces données mises à disposition sont autant de ressources pour nourrir les stratégies d’aménagement et de valorisation du territoire.

Journées européennes du patrimoine au manoir de Kerhervé (Plouberze, 22) © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

 

L’engagement à devenir « Pays d’art et d’histoire » prolonge une dynamique amorcée de longue date pour enrichir la connaissance des patrimoines. Ce sont d’abord deux postes de chargés d’études d’Inventaire mobilisés depuis 2009, et depuis 2018 un partenariat établi entre la communauté d’agglomération et la Région Bretagne pour financer et accompagner la poursuite du recensement sur Lannion et la presqu’île de Lézardrieux, visant une couverture complète du territoire. En parallèle, les partenariats établis avec des associations locales comme l’association Océanide (étude sur le patrimoine maritime de l’estuaire de Tréguier et du Trieux, et plus récemment sur les tuiles anglaises dans le Trégor-Goëlo) et l’association pour la recherche et la sauvegarde des sites archéologiques du Trégor (étude sur le port de Lannion) favorisent la complémentarité des regards pour revisiter différemment le territoire. Car c’est bien la construction d’un inventaire pluriel qui est en jeu, pour porter une appropriation durable de la démarche patrimoniale. L’Inventaire et ses partenaires ont ainsi animé de nombreuses visites, ateliers, conférences, causeries comme celles sur fermes du Trégor à Langoat ou à Minihy-Tréguier en 2018. Chaque année, les Journées Européennes du Patrimoine sont l’occasion de coups de cœur sur le territoire du Trégor. À Ploubezre, on se souvient encore, quand en septembre 2014, plusieurs centaines de personnes étaient venues admirer le manoir de Kerhervé après sa restauration.

Plusieurs grands sujets complémentaires ressortent de ces études. Sur les 211 éléments protégés au titre des Monuments historiques, près de 50% concernent le patrimoine religieux. Toutes les périodes de l’histoire de l’art sont représentées : romane (Tour Hasting de la cathédrale de Tréguier, nef de l’église Saint-Jacques de Perros-Guirec…), gothique (16 églises paroissiales et 41 chapelles édifiées entre 1400 et 1500), Renaissance (chapelle de Kerfons à Ploubezre), classique et contemporaine (chapelle Saint-Joseph à Lannion). De cet ensemble émerge la cathédrale de Tréguier et son cloître (milieu 13e siècle — milieu 15e siècle), le seul ensemble de ce genre conservé en Bretagne. À l’ouest du territoire, plusieurs édifices portent la marque de l’atelier morlaisien Beaumanoir — clocher-mur élancé accosté d’une tourelle d’escalier, chevet à trois pans — dont la chapelle Saint-Nicolas de Plufur est l’exemple le plus ancien (1499), et l’église de Trémel, le plus médiatisé après son incendie en 2016.  En 2018, la Région Bretagne publie d’Notre-Dame-de-la-Merci de Trémel pour porter la force de l’émotion suivant une démarche autant documentaire qu’artistique : « On ne se rend vraiment compte de la beauté des choses que lorsqu’on les perd… » et proposer un entre-deux, entre catastrophe et restauration. Alors que six ans après, la restauration s’achève pour cette remarquable église gothique, la publication a permis un partenariat avec le chantier Notre-Dame de Paris en 2021.

Autre thématique révélée par l’enquête d’Inventaire, le grand renouveau de l’habitat rural à la charnière des 18e et 19e siècles, dont l’ampleur a contribué à modifier l’aspect des campagnes. De grandes fermes sont construites à l’emplacement de manoirs — très nombreux dans le Trégor — dont les terres nobles sont baillées à des paysans, parfois dès le 15e siècle. Elles sont le fait d’une classe paysanne aisée qui sait tirer profit du domaine congéable, un mode de tenure propre à la Basse-Bretagne dont la toponymie trégorroise a conservé le souvenir. Avec la Révolution et la vente des biens nationaux, le mouvement de reconstructions s’amplifie, traduction dans la pierre d’une aspiration au changement, d’une forme d’émancipation sociale et économique : on y affiche sa réussite avec sobriété, on y grave son nom, on s’impose comme les nouveaux maîtres (fermes de Kermabin à Plouaret, du Launay à Hengoat, de Coat Nizan à Pluzunet…). Cette histoire locale est racontée dans Les grandes fermes du Trégor ouvrage publié en 2019, en associant de façon étroite l’observation de terrain, l’analyse de multiples sources documentaires, le regard de ceux qui vivent au quotidien ce patrimoine.

 

 

On estime à près de 600 le nombre de manoirs sur le territoire. Cette étonnante densité tient à l’histoire : au 15e siècle, le Trégor concentre la plus forte proportion de nobles en Bretagne.  Les manoirs sont construits principalement entre les 15e et 17e siècles, pour habiter, exploiter les terres nobles du domaine et exercer le droit féodal. On en compte un large éventail, du plus petit logis issu de la frange inférieure de la famille des manoirs à la vaste résidence d’une noblesse enrichie (Kerandraou, Guernaham, Kermerzit). Les dépendances de ces manoirs — chapelles, moulins, colombiers, granges — sont autant de symboles de la puissance du pouvoir seigneurial.

Aménagés à quelques distances des habitations, sur la dérivation d’un ruisseau, les routoirs — bassins soigneusement maçonnés pour rouir les plantes textiles — figurent parmi les équipements des manoirs et des fermes. Ils témoignent de l’histoire linière du Trégor, du 16e au 19e siècle, quand la région alimentait en lin les tisserands du centre Bretagne et du Haut-Léon, puis les grandes filatures du Nord et de la Normandie. La prise de conscience de leur valeur patrimoniale dans les années 1990 a abouti à la sauvegarde de nombreux exemples et à leur mise en valeur (routoirs de l’anse de Gwenored à Pouldouran).

Les publications de la Région Bretagne sur le Trégor © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

L’opportunité d’investir l’espace urbain de Tréguier et son proche minihy a permis de réinterroger l’unité du Trégor fondée sur l’ancien évêché. À la fois cité épiscopale et ville-port, Tréguier est également un lieu de pèlerinage et de commerce où plane toujours l’aura de saint Yves, un intense foyer artistique et culturel, une cité monastique à vocation hospitalière et éducative. Publié en 2020, Tréguier, cité épiscopale et ville-port restitue une synthèse des plus de 250 dossiers d’études réalisés sur la ville et donne à comprendre les liens que la ville entretient, sous l’Ancien Régime, avec son arrière-pays, plus largement avec la Bretagne et l’Europe. La ville moderne et son expansion aux 19e et 20e siècles ont été l’occasion d’explorer des aspects inédits depuis la Révolution, en évoquant grands travaux, aménagements et ambition artistique.

L’appropriation de cette riche histoire par des acteurs locaux engagés, des propriétaires, des passionnés participe de l’identité et de la richesse du Trégor. Dans un futur proche, le Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUiH) piloté par Lannion-Trégor Communauté qui s’appuie sur les travaux de l’Inventaire permettra de protéger du point de vue de l’architecture et des paysages « ce qui fait le Trégor ». Assurément, l’Inventaire du patrimoine culturel contribue à la connaissance, la conservation et la valorisation des patrimoines de Bretagne.