inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

2023 marque le centenaire de la création du mouvement des Seiz Breur.

Si l’on pense plus facilement « musées » pour apprécier leur production artistique, les explorations de l’Inventaire ont, elles aussi, croisé des œuvres de différents membres du groupe. Cet anniversaire est donc l’opportunité d’une promenade inédite — et non exhaustive — au travers de réalisations pour certaines peu connues.  

Dès l’inauguration du lycée Renan de Saint-Brieuc (22) en 1938, deux des cinq panneaux de céramique de Pierre Péron (1905-1988) représentant les départements bretons sont intégrés à la décoration. © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

 

 

 

 

C’est au pardon du Folgoët en 1923 que Jeanne Malivel (1895-1926), graveuse et décoratrice formée à l’école des Beaux-Arts de Paris rencontre l’illustrateur René-Yves Creston (1898-1964) et son épouse Suzanne (1899-1979), céramiste. Quelques semaines plus tard, avec l’architecte James Bouillé (1894-1945) et plusieurs autres, ils déposent un projet pour l’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925 à Paris et obtiennent de décorer la salle principale du pavillon breton. Le mobilier aux formes modernistes, les faïences Henriot (vaisselle et statuettes), le papier peint, leur valent la médaille d’or du jury de l’Exposition. Jeanne Malivel reçoit pour sa part un diplôme d’honneur pour ses céramiques. L’expérience est renouvelée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1937.

 

 

 

 

Sortir l’art breton de ses « biniouseries »

Le groupe des Seiz Breur regroupe une soixantaine d’artistes explorant toutes les disciplines derrière la même ambition d’œuvrer à un « art national breton moderne », en réaction à une vision surannée de la Bretagne, déformée par le tourisme naissant et l’envahissement d’une culture « hors sol ». Leur inspiration puise dans l’histoire régionale, les mythologies celtiques, les expressions populaires et le légendaire breton, et déclinent autant les thèmes de la vie rurale et maritime, les motifs empruntés à l’art populaire que la vie des saints bretons ou les pardons.

Avant même la création du groupe, certains — comme Francis Renaud (1887-1973) — avaient déjà partagé une expression régionaliste renouvelée en s’emparant des monuments aux morts. Alors que Vannes (56) avait préféré le projet d’un sculpteur parisien, on peut imaginer que les communes de Trévé (22) et de Tréguier (22) ressentaient déjà que ces femmes en costume figées dans leur douleur à côté de la litanie des noms des disparus, marqueraient plus fortement que la figure nationale du poilu. Sans doute parce que ce fatalisme digne et muet était déjà inscrit dans la figure de la veuve de marin, maintes fois représentée dans la peinture et la sculpture bretonne. C’est d’ailleurs pour la terre cuite des Veuves d’Islandais conservée et exposée dans la mairie de Tréguier (22) que Francis Renaud obtient la médaille d’or au Salon des artistes en 1932.

Le projet collectif des Seiz Breur s’exprime dans une revue Kornog : dastumadenn trimiziek skeudennet Arzou Breiz (Occident : revue trimestrielle illustrée des arts de Bretagne) créée après la mort de Jeanne Malivel en septembre 1926 et dans un manifeste publié en 1940. Intimement lié à ce projet éditorial, certains membres prolongent leur activité artistique de travaux ethnologiques (à moins que ce ne soit l’inverse ?). Références pour la connaissance des costumes, les ouvrages de René-Yves Creston ont largement étayé les dossiers réalisés par l’association Ljin ha spered ar vro pour un Inventaire des coiffes en filet brodé réalisé en 2014.

 

Petites cuillères… et cathédrales

Hostiles à la répétition de recettes éprouvées, les Seiz Breur prônent un certain dépouillement des formes. Ainsi Jeanne Malivel s’inspire-t-elle des cœurs, spirales et autres motifs gravés sur des cuillères de bois traditionnelles pour les reprendre et les décliner, non sans accent Art déco.

En 2023, cette référence à la cuillère tombait à pic pour appuyer la thématique du rendez-vous annuel au cours duquel la Région réunit chaque année les partenaires engagés dans des opérations d’Inventaire. Il s’agissait d’y traiter de l’appétence de l’Inventaire à explorer toutes les formes patrimoniales, « de la cathédrale à la petite cuillère », selon la formule attachée à la discipline depuis ses débuts. C’est cette même curiosité pour la diversité des expressions et le lien au territoire qui guide depuis près de 60 ans les enquêtes d’Inventaire en Bretagne et nourrit son extraordinaire fonds documentaire. Complémentaires des travaux réalisés par les musées, les études d’Inventaire viennent donc explorer d’autres champs de la production des Seiz Breur, et pour une large partie ce qui s’inscrit dans le domaine religieux.

Crosse pastorale réalisée par l’orfèvre René Desury sur des dessins de James Bouillé © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

Robert Micheau-Vernez (1907-1989) dessine des vitraux pour l’église du Conquet (29) et de Saint-Michel-en-Grève (22) et réalise des Vierges avec les faïencerie Henriot de Quimper. Le sculpteur rennais Rafig Tullou (1909-1990) réalise pour sa part la clôture de chœur de l’église Sainte-Marie-Madeleine de Châteaugiron (35), aujourd’hui déposée.

En 1929, Xavier de Langlais (1906-1975) crée avec l’architecte James Bouillé (1894-1945), Jules-Charles Le Bozec (1898-1973), les verriers Paul Rault et Ménard, et l’orfèvre Desury de Saint-Brieuc, l’Atelier breton d’art chrétien, non sans lien avec les Ateliers d’art sacré de Maurice Denis, créés à Paris dix ans plus tôt. Leur propos est d’imposer la continuité d’un art religieux breton en réintroduisant des références régionales que les statues sulpiciennes avaient détrônées.

Avant même de signer plusieurs églises et chapelles (église de Larmor-Pleubian, 1932 ; la chapelle Saint-Ivy à Ploubazlanec, 1938-1939), James Bouillé dessine en 1929 la crosse de l’évêque de Vannes, réalisée par l’atelier Desury. Œuvre emblématique, elle illustre intimement la volonté de renouveler de façon radicale les formes et objets d’art sacré.

Xavier de Langlais trouve dans les commandes religieuses une expression prolifique et variée, en signant fresques, chemins de croix, quelques céramiques et vitraux et en renouant aussi avec les taoloennoù, ces tableaux de mission nés au XVIe siècle. À Etel (56), la grande fresque du chœur de l’église Notre-Dame-des-Flots décline les métiers de la mer autour d’une Vierge émergeant d’une coquille (photo du haut de page). À La Richardais (35), ce sont les vies de saint Lunaire et de saint Malo qui emplissent depuis 1953 les deux bras du transept de l’église Saint-Clément, ainsi qu’un long chemin de croix peint tout au long de la nef (à retrouver dans le livre Vallée de la Rance et Côte d’Émeraude, patrimoine d’un parc naturel régional).

Cette même inspiration religieuse conduit une grande partie du travail de Jean Fréour (1919-2010), auteur d’une Vierge à l’Enfant à Bourbarré (35), d’une sainte Thérèse de Lisieux à Bruz (35), d’une Annonciation et d’un saint Jean de Dieu dans l’hôpital psychiatrique éponyme à Léhon-Dinan (22).

 

 

Un chemin de croix reconstitué grâce aux photographies de l’Inventaire 

Exécuté par Xavier de Langlais de décembre 1934 à juillet 1935, le chemin de croix de l’église Notre-Dame-de-la-Merci de Trémel (22) a totalement disparu lors d’un incendie en 2016. Photographié tableau par tableau lors de l’enquête d’Inventaire de 2014, et complété de la copie de deux stations conservées par la famille de Xavier de Langlais, il a pu être entièrement restitué et repositionné dans l’église reconstruite.

(à retrouver dans le livre Trémel, Notre-Dame-de-la-Merci, publié par la Région Bretagne dans la collection Images Patrimoine)

 

 

 

Bas-relief réalisé par Jules-Charles Le Bozec de Mellionnec pour le mémorial aux Bretons morts pour la France de Sainte-Anne-d’Auray (56) © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

 

Seiz Breur pour raconter l’histoire bretonne et continuer à la construire

Le mouvement continue à fédérer de nouveaux créateurs, y compris de la génération suivante : Jean Fréour, Francis Pellerin (1915-1998)… Il se dissout néanmoins au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Outre la vie des saints bretons, c’est toute l’histoire bretonne que balaye la production des Seiz Breur, depuis la statue de Nominoë (1952) de Rafig Tullou à Bains-sur-Oust (56) jusqu’à celle de Glenmor (1998) réalisée par Jean Fréour au jardin du Thabor à Rennes (35). Tous les bretons aussi et leurs métiers : des laveuses d’huîtres du même Fréour à Cancale (35) à la fresque en bas-relief (1930) de Jules-Charles Le Bozec du Mémorial des Bretons morts pour la France à Sainte-Anne d’Auray (56).

L’engagement des Seiz Breur se voulait aussi en prise directe avec l’actualité et la réalité du monde. Dans l’espace public, c’est bien l’architecture qui partage cette aspiration. En plus des quelques églises citées plus haut, la production d’un James Bouillé marque aussi les paysages de la côte nord avec un certain nombre de demeures balnéaires à Plouha (1931), Trégastel (1933), Penvénan (1938), Paimpol, Perros-Guirec

 

 

 

Pour en savoir plus :

 

NB : les œuvres indiquées correspondent à des dossiers réalisés au fil de différentes opérations d’Inventaire, pour la plupart topographiques. Cette sélection ne saurait donc porter une analyse de la production de tel ou tel artiste cité.