inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

Cimetière de bateaux du Magouer à Plouhinec (Morbihan) – Bernard Bègne © Région Bretagne – Service de l’Inventaire du patrimoine culturel

Tous les patrimoines ne se donnent pas si facilement à voir et à comprendre, surtout quand ceux-ci sont immergés, soumis au va-et-vient des marées ou difficilement accessibles. L’apport des technologies numériques est dans ce cas incontestable, car ces outils « transportent », facilitent et enrichissent la médiation. Ils offrent également une autre manière de sensibiliser au patrimoine maritime, qu’il s’agisse de bateaux, d’épaves sous-marines, ou de cimetières de bateaux. Quelques exemples choisis sont là pour vous le démontrer.

AU MUSEE : RENDRE ACCESSIBLE ET COMPREHENSIBLE

♦ Le chalutier Hémérica au Musée de la pêche de Concarneau ♦

Le Musée de la Pêche, sous l’appellation « Musée de France », présente une riche collection de bateaux, d’objets du quotidien et de maquettes. Fleuron de la collection, l’Hémérica, un chalutier à pêche latérale (31,80 mètres, 200 tonneaux) vous attend, sagement amarré au quai du musée depuis 1985, le long des remparts de la ville close. Sorti en 1957 des Ateliers et Forges de l’Ouest à Saint-Nazaire sous le nom premier de Pactole, il fait partie des incontournables de la visite du Musée de la pêche et illustre la grande époque de la pêche au chalut. On en comptait 112 en 1961 dans le port de Concarneau, contre 9 en 1983, remplacés progressivement par le chalutier dit de « pêche arrière ». Le conserver et l’exposer au public revêt une dimension symbolique à plus d’un titre :

– l’un des derniers témoins de la pêche latérale

– une silhouette caractéristique des chalutiers à propulsion Diesel

– un type de construction à coque rivetée abandonné dans les années 1960

– une taille suffisante pour permettre d’y établir un circuit de visite, en complément de la visite du musée de la pêche.

Pascale Delmotte © Région Bretagne

 

 

 

Des campagnes régulières de restauration sont cependant nécessaires pour le garder à flot et permettre la découverte du quotidien des marins, depuis les espaces de vie, jusqu’à la passerelle et la cale à poissons. Le Musée de la Pêche fait d’ailleurs appel à la générosité de tous pour engager la nouvelle campagne de restauration, via une souscription en ligne avec la Fondation du Patrimoine.

 

 

 

C’est parce qu’il n’était pas accessible à tous que Concarneau Cornouaille Agglomération (CCA) et l’Association des Amis du Musée de la pêche ont souhaité financer en 2017, le 1er dispositif de visite virtuelle du navire en 3D et en ont confié la réalisation à l’École européenne supérieure d’arts de Bretagne (EESAB) qui expérimentait alors ce type d’outils innovants. En 2015, la société Fit Conseil, spécialiste de la numérisation avait réalisé des prises de vues à marée basse de la coque et des intérieurs, une première étape pour garder une trace numérique du bateau et compléter la connaissance scientifique que l’on en a. Un casque de réalité virtuelle emmène jusque dans les mâts, pour une visite plus vraie que nature, durant une dizaine de minutes. La fonction de chaque espace du bateau est expliquée.

Largement médiatisé à sa sortie à l’occasion des 60 ans du bateau, le dispositif est mis à disposition des personnes à mobilité réduite. En 2022-2023, un nouvel outil numérique de découverte du bateau sera proposé, ainsi que via l’outil  de visite virtuel Google Arts and Culture (musées ou projets à caractère culturels et patrimoniaux).

 

♦ Mémoire de formes au Port-musée de Douarnenez ♦

Propriétaire de la plus grande collection de navires de France, le Port-musée a développé depuis 2005 des techniques d’ingénierie destinées à assurer la pérennité et l’étude de ses collections. Son approche associe à la fois une maîtrise des savoir-faire de la charpenterie traditionnelle et le recours à une expertise technique et scientifique tant dans le domaine des matériaux que dans l’analyse de leurs conditions précises de conservation. Les bateaux de travail constituent le cœur de cette collection.

Salle des gréements, Pascale Delmotte © Région Bretagne

 

Réalisés de mémoire par des charpentiers qui n’ont laissé quasiment aucun plan, mais avec un savoir-faire abouti né de traditions séculaires, la plupart de ces navires sont les derniers représentant de leurs types respectifs. Leur étude précise s’apparente donc à l’enquête archéologique. L’observation minutieuse de leurs formes, des détails de leur charpenterie et de leurs assemblages comme de leurs déformations constituent un challenge et une nécessité scientifiques.

 

Pour répondre à ce défi, le Port-musée use depuis plusieurs années de la haute technologie. Il met ainsi en œuvre un programme de numérisation au Laser Scanner 3D qui lui permet à la fois de documenter cette collection et de surveiller son évolution et ses possibles altérations. Chaque navire ainsi inspecté bénéficie d’un enregistrement millimétrique de plusieurs dizaines de millions de points qui constituent autant une archive, qu’un modèle numérique observable sous tous les angles et à toutes les échelles.

La plupart sont de petites embarcations de travail mais des travaux plus complexes ont été menés sur l’Anna Rosa (caboteur norvégien de 1893) ou le Notre-Dame-de-Rocamadour (langoustier mauritanien de 1959), en combinaison avec des méthodes d’investigation non destructives.

 

Des outils ludiques au service de la découverte du patrimoine :

Amusez-vous à faire tourner dans l’espace le bateau lune (il fait partie des 250 bateaux grandeur nature conservés dans des réserves extérieures) ou découvrez virtuellement (et par beau temps !) toutes les facettes l’Anna Rosa depuis l’espace dédié du site du musée ! (optimisé pour le navigateur Google Chrome)

 

 

SUR L’ESTRAN : RACONTER L’HISTOIRE DU TERRITOIRE

♦ Le cimetière de bateaux de Kerhervy à Lanester ♦

En Bretagne, les cimetières de bateaux occupent une place particulière dans le paysage littoral et dans la conscience collective maritime. Ils sont 24 répartis sur les côtes, en rades et rias et s’affirment aujourd’hui comme des lieux touristiques, qu’affectionnent particulièrement les photographes. Kerhervy est de ceux-là.

Loïc Kersuzan © Morbihan Tourisme

 

Au creux d’une anse, dans une vasière, se profile le cimetière : celui de thoniers, chalutiers échoués là dès 1923, mais surtout dans les années 1950-1960, une époque charnière où les navires en bois et à voile cèdent la place à ceux à moteur. A partir des années 1990, les préconisations du Plan Mellick désarment en partie la flotte de pêche, qui vient grossir les rangs de Kerhervy. Une fois dépollués les navires étaient volontairement échoués et gentiment « rangés » dans l’anse au moyen de tracteurs qui les tiraient depuis la rive. Ces témoins de l’activité maritime évoluent dans un milieu naturel immergé, sensible et dangereux à la fois, disparaissant ou se laissant deviner à marée haute pour resurgir à basse mer ; fragiles, les coques et membrures de ces bateaux sont inéluctablement amenées à disparaître.

C’est pourquoi 2 dispositifs de médiation numérique, l’un en réalité augmentée sur tablette et l’autre en réalité virtuelle pour casque immersif, ont été conçus à destination des habitants et des visiteurs, en partenariat avec la médiathèque de la Ville de Lanester. Le projet a été mené à bien par des étudiants de l’EESAB (Laboratoire Design et pratiques Numériques) de Rennes et de l’UBS de Lorient (master Politiques patrimoniales développement culturel et territoires) dans le cadre de l’appel à projets régional NEPTUNE – volet Innovation.

 

Un exercice grandeur nature très formateur, conduit de A à Z : management – communication – recherche historique auprès des Archives municipales de Lanester, du Service Historique de la Défense de Lorient et des acteurs locaux – numérisation 3D photogrammétrique et création des contenus y compris sonores – développement informatique, intégration et déploiement. Le dispositif complet, maquette 3D du site comprise avec ses différents échantillons imprimés séparément avant d’être rassemblés sur un support en bois, a d’abord été présenté à la médiathèque de la Ville de Lanester. Aujourd’hui il est en partie consultable, gratuitement, sur cette plateforme internet.

Loïc Kersuzan © Morbihan Tourisme

 

 

 

 

Des visites guidées sont proposées et le site mis en avant par Lorient Bretagne Sud Tourisme vaut bien une promenade:  le détail du circuit dans l’estuaire du Blavet, entre sous-bois et prés salés, est téléchargeable gratuitement, avis aux amateurs !

 

 

 

ARCHEOLOGIE SOUS-MARINE : une plongée immobile

♦ L’épave du Fetlar au large de Saint-Malo ♦

Parmi les 15 000 sites archéologiques potentiels des côtes du littoral atlantique français, seuls quelques dizaines ont déjà fait l’objet de fouilles, autrement dit tout reste à faire pour valoriser ce patrimoine sous-marin! C’est justement le travail mené par l’Association pour le développement de la recherche en archéologie maritime ( ADRAMAR), que soutient la Région Bretagne. Basée à Saint-Malo, elle a pour mission l’étude, la protection et la mise en valeur des sites archéologiques du Grand Ouest. Elle engage ses moyens techniques, dont un navire de recherche l’Hermine-Bretagne, dédié spécifiquement à l’archéologie maritime mais aussi aux animations scolaires, ainsi que ses effectifs pour conduire des campagnes de prospection, d’expertise et de fouilles.

Une démarche inédite et collaborative de valorisation numérique a été initiée par l’association autour de l’épave du cargo à vapeur Fetlar, naufragé en 1919 au Nord de l’île de Cézembre et menée en collaboration étroite avec Image Exploration, l’association 3D Services et l’ESAAB.

Représentatif de cette époque de transition entre la propulsion à la voile et celle à la vapeur, le navire de 56 m de long et de près de 9 m de large, portait encore un gréement de type goélette. Posé sur un sol sableux, droit sur sa quille par 27 m de fond en moyenne, sa conservation sur une hauteur maximale de 6 mètres est remarquable et en fait un site très prisé des plongeurs. Aussi l’idée d’en dresser une restitution 3D pour un large public accessible depuis des équipements numériques nomades (tablette, smartphone…), et de permettre une plongée immersive à partir d’un casque de réalité virtuelle, était née.

Enregistrement photogrammétrique de l’épave in situ – Jacques Le Lay © ADRAMAR

Un travail colossal qui aura nécessité 3 missions de terrain sur l’année 2017 et 37h30 de plongée et permis l’enregistrement de plus de 20.500 clichés par la société Images Explorations ; 18.700 clichés ont été exploités et traités par la société Pilgrim Technology afin de restituer l’épave numériquement en trois dimensions.

Les technologies d’enregistrement photogrammétrique et numérique en contexte sous-marin, de traitement des images et de scénarisation par la réalité virtuelle et augmentée, ont permis d’aboutir à un nouveau type de production patrimoniale: une application de plongée virtuelle téléchargeable gratuitement, Epave Fetlar ! L’EESAB de Rennes a assuré l’intégration scénarisée en réalités, virtuelle et augmentée, pour une exploitation via une application mobile.

C’est la première fois qu’une épave gisant par 28 mètres de fond, ainsi documentée et valorisée auprès du public, est dédiée à la culture patrimoniale et scientifique. Elle contribuera assurément à faire découvrir un patrimoine trop méconnu du grand public, à diversifier l’offre culturelle et à développer les pratiques et la culture numériques.

Restitution 3D à partir des enregistrements photogrammétriques © EESAB/ADRAMAR
Démonstration avec un casque de réalité virtuelle (oculus) pendant le Festival des Sciences © ADRAMAR

 

TECHNOLOGIES A L’ŒUVRE : distinguer les 2 types d’expériences

 

Réalité virtuelle : l’utilisateur pénètre dans un monde virtuel modélisé en 3 dimensions et dans lequel il peut se déplacer et interagir. Le casque permet de créer une simulation se rapprochant le plus possible de la réalité. La technologie de spatialisation sonore vient ajouter l’illusion que des sons proviennent de diverses directions et contribue à organiser ainsi des scènes sonores en trois dimensions.

Réalité augmentée : elle prend appui sur le monde réel pour afficher des informations supplémentaires en 2 ou 3 dimensions avec lesquelles l’utilisateur va pouvoir interagir. Ces données apparaissent par le biais d’un appareil spécifique, pouvant aller du casque ou des lunettes, au smartphone, tablette ou ordinateur.