inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

C’est en réaction aux mutations observées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’est créé l’Inventaire : la généralisation de nouveaux matériaux, l’industrialisation du secteur du bâtiment, l’exode rural, les changements dans les modes de vie et autres bouleversements marginalisent les architectures dites « traditionnelles » au profit d’architectures et de matériaux génériques. Aujourd’hui, en Bretagne, plusieurs études explorent des sujets liés aux techniques de constructions anciennes. Au-delà du descriptif des formes, ces approches patrimoniales apportent des éclairages autour des enjeux contemporains induits par les urgences écologiques.

 

Architecture urbaine en pan de bois, en terre ou en pierre sèche… Ces techniques séculaires ont été balayées par les révolutions constructives portées par le XXe siècle. Effet boomerang, l’industrie du bâtiment exerce aujourd’hui une pression très forte sur l’environnement : consommation de ressources non-renouvelables tel le sable indispensable à la préparation du ciment et du béton, mondialisation du marché des matériaux, émissions carbones liées à leur transport, production massive de déchets…  Le secteur de la construction consomme environ 450 millions de tonnes de granulats chaque année en France, et produit 260 millions de tonnes de déchets. Il représente aujourd’hui à lui seul 20% des émissions de CO2 du pays.

 

Éco-matériaux, dynamiques locales et sobriété : circuit court et zéro déchet

À l’inverse des standardisations portées par la plupart des programmes architecturaux contemporains, le bâti ancien vient apporter des modèles vertueux en termes de qualités constructives, de durabilité, de valorisation de ressources locales et plus généralement de résilience. Éco-matériaux, éco-construction, circuits-courts, réemploi : le vocabulaire contemporain rhabille des pratiques ancestrales et des savoir-faire qui s’inscrivent pleinement dans ces enjeux de transition.

Les matériaux « bio-sourcés » (lorsque l’on parle de matières organiques comme le bois, la paille…) ou « géo-sourcés » (origine minérale mais demandant peu voire pas de transformation, comme la terre crue ou certaines techniques constructives en pierre) présentent l’avantage d’une mise en œuvre à l’échelle « ultra-locale ». Ils portent intimement les caractéristiques géographiques de leurs territoires : si aujourd’hui, le poste budgétaire principal d’un chantier est le prix de la main d’œuvre, cela a longtemps été le « charroi » des matériaux. Dès lors, on prend le matériau au plus près, en réservant le transport aux constructions de prestige ou aux pièces que l’on ne pouvait trouver sur place.

Lorsque les affleurements rocheux sont insuffisants — comme dans le bassin de Rennes — on met en œuvre d’autres ressources immédiates : nombre de constructions ont privilégié la terre crue, montée le plus souvent avec la technique de la bauge, parfois aussi en pisé ou en adobe. Cela concerne tant le bâti rural que le bâti urbain.

Les caractéristiques géologiques du sol du pays rennais, pauvre en pierre de construction, expliquent aussi le développement d’architectures en pan de bois. Si les futaies sont plutôt réservées au bois de marine et à des constructions de prestige, le bocage et son exploitation réglementée fournit un bois noueux idéal pour les façades de maisons de ville (ou rurales). Solide, durable et léger, ce modèle d’architecture se répand ensuite progressivement aux espaces ruraux qui entourent Rennes, par l’influence de la noblesse puis de la bourgeoisie. Intrinsèquement évolutives, les constructions en pan de bois se transforment, s’adaptent, évoluent au gré de démontages et remplacement de certaines pièces. Elles sont aussi le fruit de pratiques empiriques de recyclage et réemploi : on utilise par exemple des pièces de bois issues du démontage de bateaux, comme cela s’observe ponctuellement à Redon.

 

Bauge et pan de bois, des mises en œuvre employant des matériaux locaux et durables © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

 

Ce même souci d’économie constructive prévaut dans les aménagements en pierre sèche qui ponctuent zones littorales et rurales. Au fil du défrichement et des labours, on utilise les pierres tirées du sol pour édifier des murets marquant des limites de propriété. Sur les grèves, on édifie avec les galets ou les pierres arrachées par la mer les perrés qui protègent les terres cultivables des assauts des vagues. Dans les carrières, les déchets de taille servent à construire des abris de carriers ou partent en moellon et tout-venant pour les maçonneries les plus proches.

Avant l’arrivée du béton et son utilisation massive, l’économie traditionnelle constructive compte donc peu de déchets et intègre l’ensemble des matériaux disponibles. Le remploi des pièces de charpente ou des pierres témoigne de ce souci permanent. Les recycleries d’aujourd’hui ne sont que des échos de ces pratiques ancestrales. L’émergence d’une filière de Responsabilité Élargie du Producteur appliquée aux matériaux de construction s’inscrit dans la nécessité de rendre le secteur plus durable.

 

Des interactions positives avec la biodiversité

Restauration d’un muret en pierres sèches à Pluzunet (22) © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

La valeur écologique des constructions traditionnelles se trouve aussi dans leur capacité à interagir avec leur milieu et la biodiversité qui les entourent. Les murets en pierre sèche illustrent ce rôle de régulation et de protection : en constante relation avec l’eau, la pierre sèche assure une régularité hydrographique mais aussi thermique à son milieu, puisqu’elle stocke la chaleur de la journée et la restitue la nuit. Ce rôle, bénéfique pour les cultures, l’est aussi pour la biodiversité. Les murets en pierre sèche fonctionnent comme de véritables écosystèmes et abris de la faune et de la flore. Les matériaux traditionnels, dans leur mise en œuvre, maintiennent des liens entre le bâti et la nature, et participent au maintien des corridors écologiques. Leur utilisation s’insère pleinement dans les réflexions sur les trames vertes et bleues des documents d’aménagement.

 

 

 

 

Bien connaître le patrimoine pour le réinvestir avec succès

Les qualités constructives des architectures traditionnelles sont indéniables. Prenant à revers certains préjugés sur leur fragilité ou leurs mauvaises performances énergétiques, les matériaux traditionnels disposent d’atouts majeurs.

Maçonnerie en bauge © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

Le bois ou la terre crue assurent une régularité hygrométrique et thermique aux constructions. Perméables, ils laissent passer l’humidité et permettent la respiration naturelle du bâti. Leur inertie thermique assure des régulations bénéfiques et davantage de confort, été comme hiver. Réponse pertinente aux enjeux actuels de performance énergétique, ces qualités de régulation thermique (en plus du caractère naturel et renouvelable) justifient le renouveau de ces matériaux aujourd’hui, tant comme source d’inspiration pour des constructions nouvelles que comme existant à réhabiliter.

Réinvestir un bâti ancien nécessite néanmoins en premier lieu d’intégrer pleinement sa logique constructive originelle et parfois ses modifications intermédiaires afin de lui redonner une nouvelle vie. Sur une maçonnerie en terre, l’insertion de matériaux modernes (ciment, menuiseries alu ou PVC, doublage placo, carrelages…) — non respirant — contraignent les échanges hygrométriques et provoquent des points de fragilité. En créant une étanchéité, la régulation hygrométrique est stoppée, la terre ne respire plus, se gorge d’eau et concentre l’humidité à l’intérieur de l’édifice au risque de dégradations irréversibles. Il en est de même pour les murets en pierre sèche ou architectures en pan de bois.

La connaissance et la compréhension fine des édifices est donc essentielle pour assurer leur conservation. En participant à la description des formes et à l’exploration historique du bâti, et en co-construisant cette connaissance au plus près du terrain avec ses partenaires, l’Inventaire apporte son expertise complémentaire à celle des architectes, ingénieurs et autres intervenants de la restauration. Mais si les regards sont essentiels, les savoir-faire le sont plus encore. Le travail des artisans est primordial pour redonner vie à certaines formes très complexes : les édifices en pan de bois, assemblages complexes d’éléments de charpente, constituent de véritables prouesses techniques, dont la restauration nécessite une expérience avérée.

Néanmoins, nombre de techniques constructives traditionnelles étaient mises en œuvre de façon relativement spontanée, souvent collectivement. Si l’entraide de proximité était constitutive des sociétés rurales, elle se réinvente aujourd’hui sous forme de « chantiers participatifs » qui s’accordent bien de pratiques assez simples comme la terre crue ou les maçonneries de pierre sèche. Garantes d’une connaissance avérée des matériaux et savoir-faire, des associations et réseaux organisent ces offres et assurent formation et transmission. C’est le cas de Tiez Breiz et de l’école des talus, ou encore d’associations promouvant l’habitat écologique et l’écoconstruction comme Empreinte et Ecobatys.

Un enjeu actuel commun aux artisans et associations : se réapproprier les techniques anciennes, ici le pan de bois et la fabrication d’adobes © Service de l’Inventaire du patrimoine, Région Bretagne

 

 

 

En regard des aspirations contemporaines, ces dynamiques s’accordent aussi d’une dimension sociale ou/et militante. La briqueterie solidaire de Chevaigné invente un modèle sociétal en croisant les valeurs des communautés Emmaüs avec un engagement fort en faveur de la valorisation des terres, et en ouvrant le tout à des participations variées autour de la production d’adobes. Partout en Bretagne, des chantiers explorent une multiplicité de références aux architectures et pratiques traditionnelles pour réinventer un modèle alternatif au développement périurbain.

Autant de pratiques qui lient patrimoine, enjeux environnementaux et enjeux sociaux, et que la Région Bretagne accompagne au titre de ses compétences en matière d’aménagement, de gestion des transitions, de formation, d’insertion et du patrimoine.

 

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