inventaire et valorisation du patrimoine de bretagne

Chaque année, la Région Bretagne convie tous les acteurs engagés dans des opérations d’Inventaire du patrimoine à une journée d’échanges et de retours d’expériences autour d’une thématique explorant les études en cours. Après avoir traité du portail numérique (Rennes, 2018), de la cartographie (Pontivy, 2019), de la photographie (Rennes, 2021), des paysages (Lorient, 2022), cette année à Lannion, les petites cuillères sont à l’honneur !

 

Si la formule peut paraitre surprenante, elle renvoie à l’aphorisme décrivant l’étendue des champs d’investigation de l’Inventaire « de la cathédrale à la petite cuillère ».  On pensait l’expression d’André Chastel ou d’André Malraux, les deux « pères » de l’Inventaire, consignée dans la plaquette sable, texte fondateur de la discipline (1964). Mais c’est à Catherine Arminjon, historienne de l’art, spécialiste de l’orfèvrerie qu’il faut en attribuer la maternité, vers 1969-1970, lors d’une des premières commissions nationales de l’Inventaire général des richesses artistiques de la France. Bien que son champ d’étude explore plutôt l’art de vivre des élites, la petite cuillère de Catherine Arminjon renvoie à ces patrimoines parfois sériels, souvent modestes, convoqués en opposition au monumental, généralement protégé au titre des Monuments historiques.

 

Des inventaires à la Prévert pour des champs patrimoniaux en perpétuelle expansion

La formule s’inscrit aussi en sous-titre de l’ouvrage de Nathalie Heinich, La fabrique du patrimoine (2009) qui rappelle que « dès son origine, l’investigation s’était étendue non plus seulement aux églises, aux châteaux, aux manoirs, propres à la conception traditionnelle des monuments historiques, mais aussi à l’architecture vernaculaire des fermes, des maisons, et au petit patrimoine particulièrement prisé des associations – fontaines, lavoirs, croix de chemin, trains, etc. ». On croise en effet des petites cuillères de toutes sortes au détour de chaque étude, mais il est notable que l’énumération de la diversité glisse autant vers l’élargissement des champs patrimoniaux que vers l’investissement du monde associatif. Est-ce à dire que les deux sont liés ?

Force est de constater que la perception patrimoniale a beaucoup évolué depuis que les patrimoines industriels, puis immatériels et désormais sensitifs ont pris place à côté de ce que l’on identifiait initialement comme « faisant patrimoine ». Face à l’immensité des champs désormais investis, on admet plus facilement aujourd’hui que la subjectivité du regard compte autant que la définition académique.

 

 

Un territoire d’exploration pour passionnés 

Fours à pain, croix et calvaires, patrimoine routier, toits en tuile, motifs spécifiques de remplages de baies et autres kanndis… Il faut souvent un brin d’obstination pour investir ces corpus que beaucoup voient sans regarder. Souvent, la discrétion du sujet est ce qui justement passionne ceux qui s’y investissent : des terres inconnues à défricher à côté de chez soi, comme autant de trésors dont on a gagné l’étonnant privilège de détenir les clés à force d’explorations.

Donner un sens à ces objets nécessite de savoir lire leur sérialité : on retrouve bien là l’ambition de l’Inventaire, et le caractère scientifique de sa méthodologie. Seul, l’objet n’a qu’un intérêt limité. La répétition le charge de sens ; la quantité enrichit sa valeur, alors que dans le même temps (paradoxalement ?), chaque item décline une variation signifiante.

Dès 1961, dans un article manifeste pour un Inventaire national, André Chastel pressentait que l’entreprise nécessiterait la « convergence d’une somme critique d’efforts » : « il suffit d’énoncer un tel programme pour s’assurer qu’il n’est pas réalisable sans de multiples concours qui se coordonneraient naturellement sur place » (Le Monde du 22 septembre 1961). Ce sont en effet souvent des passionnés qui investissent ces petites cuillères. Parfois seuls. Parfois regroupés en association ou en réseau informel autour du même centre d’intérêt. Aujourd’hui, les réseaux sociaux et les pratiques participatives renouvellent d’ailleurs ces dynamiques. C’est aussi tout le sens et tout l’engagement de la Région Bretagne au travers de sa volonté de co-construction la connaissance du patrimoine en partageant sa compétence d’Inventaire.

 

Passons à table !

 La cuillère invite à la convivialité. Les noces paysannes de Bruegel (vers 1567, Kunsthistorisches Museum de Vienne) témoignent que chaque convive apportait la sienne aux repas. De très beaux décors sculptés vannetais ou finistériens confirment qu’en Bretagne comme ailleurs, « de nombreuses cultures ont fait de la cuillère, instrument essentiel de l’alimentation, plus que le couteau et à l’exclusion de la bourgeoise fourchette, le support d’un décor soigné et abondant » (Philippe Le Stum, Arts populaires de Bretagne, 1995). C’est aussi le décor d’une cuillère qui serait l’instigatrice de l’élan artistique des Seiz Breur qui fête cette année son centenaire (Pascal Aumasson, Seiz Breur, pour un art populaire en Bretagne, 2017). Sur les tables des élites, d’autres cuillères décrites dans les études d’Inventaire de l’orfèvrerie bretonne, rivalisent de virtuosité avec les plus beaux reliquaires. Au propre comme au figuré, les cuillères ont donc beaucoup à nous dire !

La journée des partenaires de l’Inventaire 2023 déroule un menu alléchant : mise en bouche matinale avec un forum pour des échanges à la carte jusqu’aux visites découvertes de fin de journée en passant par des séquences en salle alternant conférences et tables rondes. Au fil des échanges, on verra comment ces petites cuillères cristallisent des histoires du quotidien, comment elles nous forcent aussi à revisiter nos propres pratiques, comment elles se transmettent et contribuent à réinventer de nouvelles sociabilités.

Mais un banquet vaut surtout par la qualité de ses convives. C’est bien le sens de ces journées que de réunir ceux qui s’engagent aux côtés de la Région Bretagne en faveur de la connaissance du patrimoine. Si elle s’est construite prioritairement en direction des contributeurs associatifs ou individuels, elle compte avec tous ceux qui soutiennent ces démarches, et notamment les collectivités engagées dans des opérations d’Inventaire participatives.